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Abdessamad El Harchiche:  État d’exception, état de siège, état d’urgence sanitaire : Quelles incidences sur le pouvoir législatif et exécutif au Maroc

25 مايو 2021 - 5:49 م مقالات , القانون العام , مقالات , مقالات , مقالات بالفرنسية
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Abdessamad El Harchiche

Docteur en Droit Public et Sciences Politiques 

Introduction

Le monde traverse actuellement des moments difficiles et se trouve dans l’obligation de contrecarrer la pandémie qui s’annonce grave sur l’économie internationale. La crise pandémique avec les conséquences qui en résultent a amené les pouvoirs publics de tous les pays à imposer l’état d’urgence sanitaire pour limiter autant que possible l’ampleur de la propagation de la maladie. Cette situation qui se produit incite à examiner la production scientifique sur l’état d’urgence sanitaire, l’état d’exception et l’état de siège ainsi que leurs incidences sur l’action du parlement et du gouvernement.

Ces trois concepts diffèrent quant à leurs natures juridiques, ainsi que sur l’étendue des pouvoirs attribués aux autorités publiques. Il est important de mettre en avant que l’état de siège et l’état d’exception sont toujours cités dans la constitution alors que l’état d’urgence sanitaire est décrété par une loi[1]. Ainsi, la constitution française prévoit l’état d’exception dans son article 16, et l’état de siège dans son article 36, et la constitution marocaine les prévoit respectivement dans ses articles 59 et 74 alors que l’état d’urgence ne se fonde que sur une loi : la loi n°55-385 du 3 avril 1955, pour la France, et celle le Décret-loi n° 2-20-292 du 23 mars 2020 et les décrets lois n° 2-20-292 du 28 Rejeb 1441 (23 mars 2020) édictant des dispositions particulières à l’état d’urgence sanitaire et les mesures de sa déclaration, et n° f2-20- 293 du 29 Rejeb 1441 (24 mars 2020) portant déclaration de l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national pour faire face à la propagation du corona virus – covid 191, pour le Maroc[2].

Dans le cadre de cette étude, on se donne pour objectif de procéder à l’étude du fondement juridique de l’état d’exception, l’état d’urgence sanitaire et l’état de siège. Et après, on va s’attarder sur le rôle que jouent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif en périodes exceptionnelles.

I : état d’exception, état de siège, état d’urgence

A : L’état d’exception

La plupart des constitutions dans le monde évoquent l’état d’exception. Jean-Louis Corail ; avance que l’état d’exception est « la situation dans laquelle se trouve un Etat qui, en présence d’un péril grave, ne peut assurer sa sauvegarde qu’en méconnaissant les règles légales qui régissent normalement son activité. L’organisation de l’État, en période normale, est conçue de manière à réaliser un équilibre entre les exigences du pouvoir et celles de la liberté ; elle ne convient plus lorsqu’il s’agit de faire face à un danger exceptionnel et que le besoin d’efficacité et de rapidité passe au premier plan»[3].

D’ailleurs, « l’état d’exception est entendu comme un moment pendant lequel les règles de droit prévues pour des périodes de calme sont transgressées, suspendues ou écartées pour faire face à un péril. Pendant ce moment, on assiste à une concentration du pouvoir, en général au profit de l’exécutif et d’autre part à la réduction ou à la suspension des droits jugés fondamentaux pendant les périodes de calme[4]».

 Il importe de souligner que la différence entre l’état d’exception et l’état d’urgence, c’est que les droits et libertés entérinés par la constitution demeurent garantis durant l’état d’exception, et que le parlement n’est pas dissout. Les dispositions de l’article 59 de la constitution marocaine de 2011 sont significatives : «Le Parlement ne peut être dissous pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels. Les libertés et droits fondamentaux prévus par la présente Constitution demeurent garantis»[5].

La Constitution marocaine énonce l’état d’exception dans son article 59 : «Lorsque l’intégrité du territoire national est menacée ou que se produisent des événements qui entravent le fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles, le Roi peut, après avoir consulté le Chef du Gouvernement, le président de la Chambre des Représentants, le président de la Chambre des Conseillers, ainsi que le président de la Cour Constitutionnelle, et adressé un message à la nation, proclamer par dahir l’état d’exception. De ce fait, le Roi est habilité à prendre les mesures qu’imposent la défense de l’intégrité territoriale et le retour, dans un moindre délai, au fonctionnement normal des institutions constitutionnelles. La Chambre des représentants ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels. Les libertés et droits fondamentaux prévus par la présente Constitution demeurent garantis. Il est mis fin à l’état d’exception dans les mêmes formes que sa proclamation, dès que les conditions qui l’ont justifié n’existent plus»[6],

Mais le silence de l’article 35 de la constitution de 1962 sur la dissolution, comme sur la durée de l’état d’exception rendait possible la mise en œuvre de l’article 110[7] qui disposait que « jusqu’à l’installation du Parlement, les mesures législatives et réglementaires nécessaires à la mise en place des institutions constitutionnelles et au fonctionnement des pouvoirs publics, seront prises par Sa Majesté le Roi»[8].

 Lorsque le parlement n’est pas dissous pendant l’état d’exception, cela permet d’avancer ce que Giorgio Agamben relève que l’état d’exception ne constitue pas « une dictature, mais un espace vide de droit, une zone d’anomie où toutes les déterminations juridiques, et avant tout, la distinction même entre public et privé sont désactivées»[9]. Toutefois, « l’état d’urgence ne se confond pas avec une théorie de l’Etat d’exception qui ferait presque automatiquement glisser les démocraties vers un régime autre, qu’on l’appelle autoritarisme, totalitarisme ou démocratie libérale[10]».

B : L’état d’urgence sanitaire

L’état d’urgence figure dans les constitutions de certains pays alors que d’autres n’en parlent pas. A titre d’exemple, la Constitution française ne mentionne pas l’état d’urgence sanitaire, mais «la loi d’urgence remonte à une époque où elle avait été prise suite à des événements bien précis et ceci n’empêche pas qu’elle reste toujours en vigueur. C’est la loi n°55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d’urgence en déclarant son application en Algérie». Toutefois, dans d’autre pays, leurs constitutions en parlent. Ainsi, « au Portugal, l’article 19 de la Constitution consacré à la suspension de l’exercice des droits, en traite dans son 3e paragraphe»[11]. En Espagne, où l’état d’urgence est appelé « état d’alerte », l’article 116 de la Constitution le soumet à une loi organique qui en « réglemente les compétences et les limitations correspondantes». En Algérie, l’article 105 dispose : « en cas de nécessité impérieuse, le Haut Conseil de Sécurité réuni, le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale, le Premier ministre et le Président du Conseil constitutionnel consultés, le Président de la République décrète l’état d’urgence ou l’état de siège, pour une durée déterminée et prend toutes les mesures nécessaires au rétablissement de la situation. La durée de l’état d’urgence»[12].

L’état d’urgence même dans les États démocratique donne aux autorités des prérogatives qui se caractérisent par leur capacité de réduction drastique des libertés[13]. Ainsi, en France la loi de 1955, fondement de l’état d’urgence déclaré en novembre 2015 et de celui de mars 2020, eu titre de l’urgence sanitaire, permet : « l’interdiction de la circulation des personnes ou des véhicules, l’interdire du séjour dans tout ou partie du département à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, d’ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature, les cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique peuvent être interdits dès lors que l’autorité administrative justifie ne pas être en mesure d’en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose[14]».

Il importe de mette en avant que la même situation se produit au Maroc à savoir « L’interdiction du déplacement de toute personne hors son domicile, sauf dans les cas d’extrême nécessité suivants :  le déplacement du domicile au lieu de travail, notamment les services publics vitaux, les entreprises privées, les professions libérales dans les secteurs et les établissements essentiels fixés par arrêtés des autorités gouvernementales concernées, sous réserve des règlements fixés par les autorités administratives concernées à cet effet ;  le déplacement pour l’achat de produits et marchandises de première nécessité, y compris l’achat de médicaments auprès des officines ;  le déplacement pour se rendre aux cabinets médicaux, cliniques, hôpitaux, laboratoires d’analyses médicales, centres de radiologie et autres établissements de santé, aux fins de diagnostic, d’hospitalisation et de soins ;  le déplacement pour motif familial impérieux pour l’assistance des personnes en situation difficile ou qui ont besoin de secours ; c) L’interdiction de tout rassemblement, attroupement ou réunion d’un groupe de personnes quel qu’en soit le motif. Sont exceptées de cette interdiction, les réunions tenues à des fins professionnelles, sous réserve de prendre les mesures préventives édictées par les autorités sanitaires ; d) La fermeture des commerces et autres établissements recevant le public pendant la période de l’état d’urgence sanitaire déclaré. Il ne peut être procédé à l’ouverture desdits commerces et établissements par leurs propriétaires que pour leurs seuls besoins personnels»[15].

Les dispositions de l’état de siège «qu’il soit politique, sécuritaire ou sanitaire sont donc différentes de celles de l’état d’exception car, si ce dernier prévoit que les droits et libertés demeurent garantis et que le parlement n’est pas dissout, le premier (l’état d’urgence) se caractérise par le détail des restrictions ; comme on peut le remarquer dans la rédaction du décret précité, l’interdiction de déplacement est générale, et ne sont détaillées expressément que les situations dérogatoires»[16].

Les périodes des crises habilitent des dérogations qui remettent en cause des principes sacro-saints du droit positif. A titre d’exemple, on relève certains empiétements sur le principe de la hiérarchie des normes juridiques. L’application de l’état d’urgence sanitaire au Maroc proclamé le 23 mars 2020[17] soulève un problème délicat[18], « qui concerne la suspension momentanée des dispositions d’une loi organique par une circulaire, puisque qu’il ouvre au ministère de l’intérieur la voie pour, au nom de la préservation de l’ordre public sanitaire, s’ingérer par voie réglementaire dans les pouvoirs et libertés des conseils des collectivités communales. Pouvoirs jouissant d’un statut constitutionnel, dont l’organisation et le fonctionnement sont largement déterminés par des normes constitutionnelles et législatifs d’une valeur juridique plus supérieure que la circulaire du ministère de l’intérieur qui interdit, en parfaite contradiction avec la loi organique 113-14 relative aux communes, la tenue de la session ordinaire du mois de mai 2020 pour les conseils des communes tout en en reportant la tenue à une date ultérieure, sous forme de sessions extraordinaires, après la levée de l’état de l’urgence sanitaire[19]».

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Il s’agit là d’une véritable substitution injustifiée aux conseils communaux. Le ministère du contrôle administratif aurait dû s’adresser à ceux-ci, évidement par voie de circulaire, en les rappelant, et non en les interdisant, de prendre les mesures nécessaires qu’exige la préservation de l’ordre public[20] sanitaire préalablement et au cours de la tenue de ces sessions[21]. Ceci est d’autant plus vrai que la préservation de la salubrité publique constitue l’une des principales attributions et des exécutifs communaux dans le cadre de leurs pouvoirs de police administrative et des assemblées délibérantes des conseils des communes[22].

Dans un autre registre, les effets de la théorie des circonstances exceptionnelles peuvent aller jusqu’à autoriser les pouvoirs publics à effectuer des assouplissements à la légalité formelle (dans ses deux variantes : règles de forme et règles de compétence) et ce depuis l’arrêt Laugier[23]. Dans ce sens, « le juge administratif français avait admis que l’administration pourrait méconnaitre des règles de compétence pendant la période des circonstances exceptionnelles. L’administration peut donc prendre des mesures qui, en temps normal, seraient illégales pour incompétence. Elle pourrait, en outre, agir dans ces circonstances sans tenir compte des formalités ayant normalement un caractère substantiel[24]».

La théorie des circonstances exceptionnelles a intégré la pensée du juge constitutionnel. Celui-ci adapte l’une de ses récentes décisions aux circonstances imposées par la pandémie Covid 19. Dans cette décision, «le juge constitutionnel français considère que compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il n y a pas lieu de juger cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article 46 de la constitution. Toutefois, il faut souligner que l’application de la théorie des circonstances exceptionnelles n’entraine pas la suspension du droit, mais elle demeure largement soumise au strict contrôle du juge administratif[25]».

C : L’état de siège

L’état de siège est un « régime restrictif des libertés publiques pouvant être appliqué par décret sur tout ou partie du territoire en cas de menace étrangère ou d’instruction, et caractérisé par l’accroissement du contenu des pouvoirs ordinaires de police, par la possibilité d’un dessaisissement des autorités civiles par les autorités militaires, et par l’élargissement de la compétence des tribunaux militaires»[26].

On remarque que la mise en œuvre de l’état de siège porte atteinte au régime des libertés, et la totalité des pouvoirs sont transférés aux militaires. Autrement dit, les libertés, pendant l’état de siège, sont restreintes car l’armée se charge du contrôle de la sûreté publique, l’interdiction de toutes manifestations, la limitation de la liberté de la presse et, notamment, les tribunaux civils sont remplacés par les tribunaux militaires[27].

En France, l’article 36 de la constitution déclare que « l’état de siège est décrété en Conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement ». Par contre, au Maroc, l’article 74 dispose que « l’état de siège peut être déclaré, par dahir contresigné par le Chef du Gouvernement, pour une durée de trente jours. Ce délai ne peut être prorogé que par la loi ». L’état de siège est, en France déclaré « par une décision gouvernementale, un décret en conseil des ministres alors qu’au Maroc, il l’est par Dahir. Par contre, il peut durer plus longtemps, avant son renouvellement éventuel par le parlement : trente jours, au lieu de douze[28]».

L’état de siège a été, pendant longtemps, la marque des régimes dictatoriaux militaires dans le Tiers Monde, et surtout en Amérique Latine ; tous les Etat de ce continent l’ont vécu à une période de leur histoire, à cause des coups d’Etat militaires, des guérillas, ou de la lutte contre les narcotrafiquants[29].

Il est à noter que la théorie des circonstances exceptionnelles telle qu’elle a été dégagée par la jurisprudence administrative implique la réunion de deux conditions. Il faut d’abord que «les circonstances soient anormales et revêtent un caractère de gravité de sorte qu’il est impossible de les voir dans le cours normal de la vie quotidienne de la société[30]».

A la lumière de cette analyse, il se dégage que les trois formes susmentionnées suscitent une controverse en droit constitutionnel et administratif. La question qui se pose est de savoir qu’elle sera l’attitude du pouvoir exécutif et législatif en périodes exceptionnelles.

II : Le pouvoir exécutif et législatif en périodes exceptionnelles

Dans le cadre de cette partie, nous allons nous attarder sur (A) les prérogatives législatives et réglementaires en périodes exceptionnelles ainsi que (B) le contrôle juridictionnel des actes législatifs et exécutifs.

      A : Les prérogatives législatives et réglementaires en périodes exceptionnelles

            Au niveau du domaine législatif[31] on soulève une certaine confusion des pouvoirs. Le recours à l’état d’exception est une faculté accordée au monarque par l’article 59 en cas de survenance d’un péril interne ou externe[32]. Autrement dit, l’état d’exception est un vecteur de confusion des pouvoirs d’un point de vue organique et matériel et que l’appellation de Dahir conférée à tous les actes du roi ne contribue pas à résorber. Dans la mesure où c’est par Dahir que seront prises invariablement les decisions de nature législative ou réglementaire[33].

Il importe de souligner que l’article 59 de la constitution marocaine est un peu différent de l’article 16 français. Il dispose « lorsque  l’intégrité du territoire national est menacée ou que se produisent des événements de mettre en cause le fonctionnement des institutions constitutionnelles, le roi peut après avoir consulté le chef du gouvernement, le président de la chambre des représentants, le président de la chambre des conseillers, ainsi que le président de la cour constitutionnelle, et adressé un message à la nation proclamer par Dahir l’état d’exception»[34].

            Cette disposition met en lumière deux circonstances alternatives : «la première consiste en menace sur l’intégrité du territoire national. Il ne s’agit pas d’une menace grave et immédiate. La seconde suppose des événements qui, sans avoir mis en cause le fonctionnement des institutions constitutionnelles, seraient susceptibles de perturber leur fonctionnement. On reste en définitive dans des termes généraux (simple menace) ou dans des éventualités (événements susceptibles), qui sont en somme vagues et peuvent donner lieu à des interprétations divergentes[35]».

L’état d’exception a été imposé en 1965 parce que les partis politiques, n’arrivaient pas à former un gouvernement d’union nationale susceptible d’appliquer un programme défini par le roi, les représentants élus ne pouvaient pas s’entendre afin de dégager une majorité parlementaire cohérente[36].

La proclamation de l’état d’exception octroie au chef de l’Etat la totalité du pouvoir. Le partage du pouvoir devient simple. Le roi étant le souverain absolu, les ministres ne peuvent former autour de lui qu’un cabinet d’exécutants. Le cabinet royal devient la clé de voûte du fonctionnement du gouvernement[37].  En effet, si l’état d’exception n’entraine pas la dissolution du parlement, il n’en demeure pas moins que le roi devient législateur et chef du gouvernement[38].

A cela il faut ajouter que le roi détient le pouvoir discrétionnaire pour déclarer l’état d’exception après avoir consulté la cour constitutionnelle. Cette dernière ne donne aucun avis sur les conditions exigées pour l’application de l’article 59 de la constitution marocaine, contrairement au régime constitutionnel français. La décision du conseil constitutionnel français est emblématique :

«Vu l’article 16 de la constitution ; Vu les articles 52, 53 et 54 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la lettre du 22 avril 1961 par laquelle le Président de la République consulte le Conseil constitutionnel sur l’éventuelle application de l’article 16 de la Constitution ;

  1. Considérant qu’en Algérie, des officiers généraux sans commandement et, à leur suite, certains éléments militaires sont entrés en rébellion ouverte contre les pouvoirs publics constitutionnels dont ils usurpent l’autorité ; qu’au mépris de la souveraineté nationale et de la légalité républicaine, ils édictent des mesures de la seule compétence du Parlement et du Gouvernement ; qu’ils ont mis hors d’état de remplir leurs fonctions et privé de leur liberté les plus hautes autorités civiles et militaires d’Algérie dépositaires des pouvoirs qui leur ont été délégués par le gouvernement de la République en vue d’assurer la sauvegarde des intérêts nationaux, ainsi qu’un membre du Gouvernement même ; que leur but avoué est de s’emparer du pouvoir dans l’ensemble du pays ; 2. Considérant qu’en raison de ces actes de subversion, d’une part, les institutions de la République se trouvent menacées d’une manière grave et immédiate, d’autre part, les pouvoirs publics constitutionnels ne peuvent fonctionner de façon régulière, est d’avis : que sont réunies les conditions exigées par la Constitution pour l’application de son article 16[39]».

Toutefois, le rôle du parlement en périodes exceptionnelles suscite des controverses en France. Le Parlement a donc un rôle relativement important en période exceptionnels. Il peut tenir des réunions durant l’état d’exception. Cette prérogative dont dispose le parlement en périodes exceptionnelles provoque un débat jurisprudentiel en France. En effet, « si l’on conçoit que le Parlement ne doit pas interférer avec les pouvoirs exceptionnels du Président, il est difficile de comprendre que l’article 16 lui permette de se réunir pour le laisser les mains liées. Si l’article 16 interdit la dissolution de l’Assemblée nationale alors que le Parlement est chargé d’une fonction de contrôle à l’égard des pouvoirs du Président. La question qui se pose comment pourrait-il assurer cette fonction si l’Assemblée nationale ne peut même pas voter la censure du Gouvernement ? Et qu’est-ce qui justifie rationnellement que l’Assemblée nationale doive attendre l’ouverture de la session ordinaire suivante pour pouvoir exercer le droit qu’elle tire de l’article 49 ? Est-il acceptable que les pouvoirs du Parlement soient différents selon la date à laquelle le Président s’octroie les pleins pouvoirs ? Il semblerait opportun de supprimer la distinction entre sessions ordinaires ou extraordinaires et sessions spéciales du Parlement – distinction qui, d’ailleurs, n’a comme fondement que la pratique de 1961[40]».

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En outre, une autre question se pose avec une acuité spéciale. Est-ce que le parlement français peut déposer la motion de censure en périodes exceptionnelles[41].

« Le Conseil constitutionnel, Consulté le 14 septembre 1961 par le président de l’Assemblée nationale sur le point de savoir si la motion de censure déposée au cours de la séance tenue le 12 septembre 1961 par cette Assemblée réunie de plein droit en vertu de l’article 16, alinéa 4, de la Constitution, peut être regardée comme recevable ;
Vu la Constitution ; Vu l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;1. Considérant que la Constitution a strictement délimité la compétence du Conseil constitutionnel ; que celui-ci ne saurait être appelé à statuer ou, à émettre un avis que dans les cas et suivant les modalités qu’elle a fixés ; 2. Considérant que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi par le président de l’une ou de l’autre assemblée du Parlement qu’en vertu des articles 41, 54 et 61, alinéa 2, de la Constitution ; que ces dispositions ne le font juge que de la recevabilité, au regard des articles 34 et 38 de la Constitution, des propositions de lois ou des amendements déposés par les membres du Parlement, ainsi que de la conformité à la Constitution des engagements internationaux ou des lois ordinaires ; qu’en outre, l’article 61 (1er alinéa), ne lui donne mission que d’apprécier la conformité à la Constitution des lois organiques et des règlements des assemblées parlementaires après leur adoption par ces assemblées et avant leur promulgation ou leur mise en application ; qu’ainsi aucune des dispositions précitées de la Constitution, non plus d’ailleurs que l’article 16, ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour se prononcer en l’espèce.
Décide : Le Conseil constitutionnel n’a pas compétence pour répondre à la consultation susvisée du président de l’Assemblée nationale[42]».

Pour le cas du Maroc, l’état d’exception permet au roi de prendre toutes les mesures qu’il juge nécessaires pour la défense de l’intégrité territoriale et le retour, dans le moindre délai, au fonctionnement normal des institutions constitutionnelles. Il est à noter que pendant l’état d’exception, le parlement ne peut déposer aucune motion de censure pour entraîner la démission collective du gouvernement[43] .

Pour la durée de l’état d’exception. La constitution marocaine de 2012 ne fait aucune allusion à la durée de l’état d’exception. Elle n’est assortie d’aucune exigence. La constitution de 1962 n’a guère imposé de limites juridiques précises dans l’exercice de ses pouvoirs exceptionnels. Par contre, les dispositions des constitutions de certains pays sont manifestes par rapport à la durée de l’état d’exception. A titre d’exemple l’article 116 de la constitution espagnole : « Une loi organique règlemente les états d’alerte, d’urgence et de siège, ainsi que les compétences et les restrictions correspondantes. L’état d’alerte est proclamé par le gouvernement par décret approuvé en Conseil des ministres pour un délai maximum de quinze jours ; il rendra compte au Congrès des députés, réuni immédiatement à cet effet, et ce délai ne peut être prorogé sans l’autorisation de celui-ci. Le décret détermine l’étendue du territoire auquel s’appliquent les effets de la déclaration. L’état d’urgence est déclaré par le gouvernement par décret approuvé en Conseil des ministres, après autorisation du Congrès des députés. L’autorisation et la proclamation de l’état d’urgence déterminent expressément les effets de celui-ci, l’étendue du territoire auquel il s’applique et sa durée, qui ne peut excéder trente jours ; il peut être prorogé pour un délai identique dans les mêmes conditions. L’état de siège est déclaré à la majorité absolue du Congrès des députés, uniquement sur proposition du gouvernement. Le Congrès détermine son étendue territoriale, sa durée et ses conditions. Il ne peut être procédé à la dissolution du Congrès lorsque l’un des états prévus au présent article est déclaré ; les chambres sont automatiquement convoquées si elles ne sont pas en session. Leur fonctionnement, comme celui des autres pouvoirs constitutionnels de l’État ne peut être interrompu lorsque ces états sont en vigueur. Si le Congrès était dissout ou si son mandat était achevé lorsque se produit quelque situation qui entraîne la déclaration de ces états, les compétences du Congrès seraient assumées par sa délégation permanente. La déclaration des états d’alerte, d’urgence ou de siège ne modifie pas le principe de la responsabilité du gouvernement et de ses agents reconnu par la Constitution et la loi»[44].

De même, les dispositions de la constitution tunisienne sont explicites, l’article 80 énonce que «en cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle, après consultation du Chef du gouvernement et du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la cour constitutionnelle. Il annonce les mesures dans un communiqué au peuple. Ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir le retour dans les plus brefs délais à un fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Durant toute cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de réunion permanente. Dans ce cas, le Président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le gouvernement. A tout moment, trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à la demande du Président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente membres de ladite Assemblée, la Cour constitutionnelle est saisie en vue de vérifier si la situation exceptionnelle persiste. La décision de la Cour est prononcée publiquement dans un délai ne dépassant pas quinze jours. Ces mesures cessent d’avoir effet dès que prennent fin les circonstances qui les ont engendrées. Le Président de la République adresse un message au peuple à ce sujet»[45].

Si le pouvoir législatif et exécutif se concentre entre les mains du Roi pendant l’état d’exception au Maroc. Toutefois, le parlement et le gouvernement durant l’état d’urgence sanitaire peuvent tenir des réunions et légifèrent comme le font en périodes normales.

Le rôle du parlement pendant l’état d’urgence sanitaire imposé au Maroc par les autorités publiques était quasi-absent et n’était pas à la hauteur. Les membres de l’opposition parlementaires, notamment, n’exerçaient aucun contrôle sur l’action du gouvernement. L’opposition se limitait uniquement à répéter les mêmes slogans à savoir la lutte contre la pandémie, le déconfinement, la lutte contre la pauvreté et la précarité etc[46].

B : Le contrôle juridictionnel des actes législatifs et exécutifs

Le remembrement du pouvoir autour du roi est la conséquence tangible de la proclamation de l’état d’exception. Il s’ensuit que le chef de l’Etat exerce les attributions dévolues au parlement et au premier ministre en vertu de la Constitution de 1962[47]. Les actes du roi sont pris sous formes de Dahir. Même dans le domaine purement administratif, les actes du roi sont soustraits à la compétence du juge. Il faut souligner que la concentration de du pouvoir entre les mains du chef de l’Etat a permis à ce dernier à diversifier ses décisions. Tant il agit en sa qualité de premier ministre, tant il intervient dans le cadre des attributions d’un ministre[48]. De ce fait, il prend selon les circonstances des arrêtés, des décisions et des circulaires. Ces actes comme le dahir ou le décret ne peuvent être déférés devant les juridictions[49].

Il est à souligner ici, qu’en France « la jurisprudence a admis le contrôle des actes de l’exécutif pris en vertu de l’article 16 quant au domaine réglementaire. En ce qui concerne le pouvoir législatif exercé par le chef de l’Etat, le juge administratif, tout en déclinant sa compétence pour apprécier la légalité des mesures présidentielles, accepte cependant de vérifier leur existence et leur entrée en vigueur conformément à la loi. Alors qu’en France la mise en œuvre de l’état d’urgence ne dépouille nullement le juge de tous ses pouvoirs de contrôle, l’application de l’article 59 affecte l’Etat de Droit»[50].

Il découle que les caractéristiques de l’état d’exception se résument comme suit : Tous les pouvoirs sont monopolisés par le roi, le cabinet royal établit une dictature constitutionnelle échappant à tout contrôle[51].

Sur le plan politique, l’objectif de l’état d’exception était de mettre un terme à une tendance qui commençait à se cristalliser au Maroc, à savoir la contestation des modalités de l’exercice du pouvoir. Cette tendance allait se déceler dans la dépolitisation de la vie publique, la répression des partis politiques de l’opposition, l’augmentation de l’influence des Forces Armées Royales afin d’assurer les orientations choisies[52].

Le juge constitutionnel marocain n’a pas encore eu à se prononcer sur la constitutionnalité de la législation sur l’état d’urgence pour la simple raison qu’il n’y a pas eu de saisine à son encontre. Les lois d’urgence «constituent l’exception dans une société démocratique. Et c’est pour cette raison que le rôle du juge, constitutionnel, d’abord, et administratif, ensuite, est indispensable afin que les intérêts des personnes et ceux de l’Etat soient préservés, et qu’un équilibre nécessaire soit maintenu pour la survie même du système démocratique»[53].

En effet, «la saisine du juge constitutionnel, qu’elle soit directe, ou par voie d’exception (QPC), permet à ce dernier de jouer son rôle de protecteur de la légalité, et des droits fondamentaux consacrés par la constitution. Et comme il n’y a pas d’auto-saisine de la part du juge constitutionnel, et qu’il n’opère sa fonction que s’il est saisi afin de vérifier la conformité d’une loi, ou d’une partie de celle-ci, à la constitution, il est en cela tributaire de la vigilance et du souci de légalité chez les personnes ayant le pouvoir de saisine, ou chez les justiciables qui mettent en œuvre l’exception d’inconstitutionnalité»[54].

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Dans le système français «ce champ s’est élargi avec l’adoption, en 2008, de la procédure de Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) qui permet à tout justiciable d’invoquer l’inconstitutionnalité d’une loi au cours d’un procès»[55].

Dans ce sens, il importe de mentionner que le conseil constitutionnel français a consacré le rôle primordial du juge dans le contrôle des mesures de quarantaine et de leur éventuelle atteinte aux libertés : «En premier lieu, les mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement peuvent faire à tout moment l’objet d’un recours par l’intéressé ou par le procureur de la République devant le juge des libertés et de la détention en vue de la mainlevée de la mesure. Le juge des libertés et de la détention, qui peut également se saisir d’office à tout moment, statue dans un délai de soixante-douze heures par une ordonnance motivée immédiatement exécutoire»[56].

Dans un autre registre, « le juge administratif, gardien des doits et libertés des personnes et collectivités, exerce un contrôle particulièrement étroit sur les actes des pouvoirs publics en vue de limiter leurs éventuels abus. Les pouvoirs exceptionnels dont dispose l’appareil administratif ne s’appliquent pas d’une manière absolue et sans limites. Ils sont contrebalancés par le contrôle du juge administratif ; maillon indispensable de l’Etat de droit»[57]. Le commissaire du gouvernement français Letourneur avance dans ses conclusions sur le célèbre arrêt Laugier cinq éléments sur lesquels se fonde l’appréciation du juge administratif dans ces circonstances dérogatoires. Il s’agit « du caractère exceptionnel de la situation, de l’impossibilité pour l’administration d’agir légalement, la persistance des circonstances exceptionnelles à la date de l’acte litigieux, le caractère de l’intérêt général de l’action ainsi que la nécessité et la proportionnalité de la mesure[58]».

Dans ce contexte qui se veut exceptionnel, « le juge administratif apprécie l’existence même des circonstances exceptionnelles. L’arrêt chambre de commerce et d’industrie de Saint Etienne est plus significatif dans ce sens dans la mesure où le juge administratif français a jugé que les circonstances de l’époque ne justifiaient pas une irrégularité aussi grave et que le but recherché n’exigeait pas la mise en œuvre de tels pouvoirs. Il a, bien plus, jugé qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles»[59].  Toutefois, le conseil d’Etat français a considéré le coronavirus 19 comme l’exemple type de ces circonstances exceptionnelles dans d’autres situations. En ce sens, il met en avant que : «le premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles, telle une épidémie avérée, comme celle de Covid 19 que connait actuellement la France»[60].

En guise de conclusion

A la lumière de cette analyse, on se rend compte que l’épreuve du Covid-19 a amené les pouvoirs publics des pays du monde à prendre des mesures draconiennes pour diminuer autant que possible l’ampleur de la contamination en imposant une série de restrictions, d’interdictions d’exercice de libertés des citoyens. Enfin, on a dévoilé dans le cadre de cette étude le rôle que jouent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif durant l’état d’urgence sanitaire, l’état d’exception et l’état de siège.


Cet article est accepté par le comité scientifique du Centre maroc du droit pour les études et les recherches juridiques

[1] El Ouazzani, Abdelmalek, état d’exception, état d’urgence, état de siège : Quelles implications pour les droits fondamentaux, 2020, p. 51. https://www.marocdroit.com/attachment/1982204/

[2]Décret-loi n° 2-20-292 du 28 Rejeb 1441 (23 mars 2020) édictant des dispositions particulières à l’état d’urgence sanitaire et les mesures de sa déclaration. En ligne : https://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/110337/137208/F-1115773749/MAR-110337.pdf

[3] État d’exception. En Ligne : https://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-d-exception/

[4]François, Saint Bonnet, l’état d’exception et la qualification juridique, CRDF n’6-2007. En ligne : https://journals.openedition.org/crdf/6812

[5]La constitution marocaine de 2011.

[6]La constitution marocaine de 2011.

[7]El Ouazzani, Abdelmalek, état d’exception, état d’urgence, état de siège : Quelles implications pour les droits fondamentaux, op.cit, p. 55.

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